Comics

Inktober 2023 – 19 – Tarot

Encore une soirée de divination interminable, grogna Mizeven en s’étirant aussi longuement qu’il pouvait, et ça n’était pas peu dire. Il s’était fait une réputation de chat liquide, tant il pouvait étendre ses membres et courber le dos en une longue ligne noire et touffue, jusqu’à ressembler à un serpent à plumes, ou à un furet crevé, selon qu’on demandât à sa sorcière préférée ou au vieux Jacob, qui le soupçonnait de lui faire disparaître des poules plus souvent encore que Frère Goupil. Sans preuve aucune, bien sûr.
– Ca paye bien, la divination, vieux grincheux, lui souffla Diwana avec une caresse entre les omoplates.
– Ksss… Tu deviens vénale, maintenant ?
– J’ai besoin d’un nouveau chaudron.

Mizeven s’assit et prit un air menaçant. C’était son air par défaut. Il aimait l’effet que ça produisait sur les esprits simples, c’est à dire les bourgeois qui venaient consulter Diwana pour des âneries.
Autant les paysans étaient pragmatiques-problèmes de dos, de cors aux pieds, de récoltes ou d’épousailles- autant les seigneurs… Que dire ! Ces messieurs venaient débourser de bons gros écus bien brillants sans même les compter, uniquement pour savoir si la Grande Histoire retiendrait leur nom, si un jour la place du Grand Nord porterait leur statue, ou si l’immortalité couronnerait leur gloire à la bataille. Sauf qu’il n’y avait plus tant de batailles depuis cinquante ans, et qu’ils n’avaient de mérite que de ne jamais s’être tiré de flèche dans les fesses. Et encore, certains en étaient probablement capables. Des génies.
Et c’était pour ces benêts tout gonflés de pâtisseries aux amandes et de fatuité que Diwana revêtait un turban et d’innombrables fanfreluches, à la première lune noire de chaque saison.
Evidemment, ils étaient tous tellement idiots qu’elle aurait pu leur raconter n’importe quoi.
Mais non.
Diwana était aussi honnête que sorcière. Elle travaillait avec amour et efficacité.
D’ailleurs, ce rendez-vous avait été inscrit dans son contrat officiel avec le seigneur Sanglev, sur les terres duquel elle était installée.
Ca n’était pas le pire des seigneurs du Nord. C’était bien l’un des moins énervés, déjà. Son nom avait été inventé de toutes pièces par son arrière-grand-père qui trouvait probablement que son patronyme était trop peu impressionnant, mais sa descendance n’avait que peu honoré ce choix. Bien peu de levs avaient vu leur sang couler sur ces terres. Ils y vivaient plutôt des jours heureux, bien cachés dans les rocheuses, à boulotter un mouton de temps en temps, comme une offrande des villageois, qui à leur tour, embrochaient l’un des leurs par saison, pour les peaux. Un bel équilibre en somme. Dans tout le monde connu, les terres Sanglev du Nord avaient la réputation d’être dures, hostiles, et peuplées de fiers guerriers bourrus. En vérité, ils n’étaient ni si fiers, ni si guerriers. Ils étaient bourrus, ça pour sûr.

On cogna à la porte. Rajustant son turban, Diwana lança « Entrez! » d’une voix suave. Une femme en très beau manteau entra, laissant échapper une mèche de cheveux d’un brun luisant de son immense capuchon. Elle posa une bourse d’un cuir si fin et travaillé, qui devait valoir plus que son contenu, sur la table. Diwana sourit, prit la bourse, l’ouvrit, prit un écu, puis la main de la femme, lui déposant sa bourse dans la paume avec douceur.
– Nul besoin de tant de richesse, Milaydame. Venez donc par ici.

Elle installa son invitée sur sa plus belle chaise – pour peu qu’une chaise soit belle. Ca manquait de coussins, de l’avis de Mizeven, qui sans avoir des goûts de luxe, n’avait rien contre un peu de velours par-ci par-là. Diwana s’assit et étala sur la table ses superbes lames de tarots qu’elle avait peintes elle-même. Ses yeux étaient à présent brouillés d’un voile blanc, le voile du voyage, celui qui permet aux mille reflets des avenirs et des passés d’apparaître aussi clairs qu’une seconde de présent.
-Posez-moi votre question. Nous trouverons la réponse.


Laisser un commentaire