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Inktober 2023 – 4 – Entrelacs

Entrelacs


Que de fils, Seigneur que de fils ! Elain prit une seconde pour regarder son ouvrage. Non qu’elle doutât de ses capacités, elle était la meilleure tapissière du village et des bourgs alentour, mais quel défi, quelle épreuve l’attendait encore.
Sur le fond d’un incroyable bleu de nuit, dont l’écheveau avait dû coûter à Dame Naeve une fortune bien sonnante, se détachait l’ébauche de l’immense silhouette d’une femme, dont les cheveux, en entrelacs, venaient en cascade s’enrouler sur un croissant de lune. Sirona, déesse païenne, oubliée des gens, réprouvée par l’Eglise, si belle, si blanche.

Les cheveux de Sirona semblaient se diffuser comme une goutte d’encre dans une tasse d’eau, étirant des entrelacs noirs en volutes souples et glissantes. La nuit ne tombe pas, non ! Elle se glisse, s’étend, se faufile, émane, évapore les couleurs et les détails, enrobe le monde de son voile bleu sombre, de ses nues grises, comme on jette une couverture trop grande sur un lit vide.

Partout où son doigt glacé caresse les contours des lieux, des gens, des animaux, s’insinue une lenteur, une fatigue, à laquelle seuls échappent quelques rebelles vivaces, quelques lutins malicieux, quelques créatures d’un autre plan.

Le hibou, dans un sursaut, ouvre ses yeux surpris, gemmes reluisantes dans l’ombre épaisse. Le renard glapit joyeux, car l’heure du festin sonne au moment où la terre devenue sourde n’entendra plus résonner son pas léger. La forêt fourmille des petits familiers de Sirona. Eux l’honorent, s’élancent, s’amusent, dansent pour elle, le cerf lance un brâme puissant à sa gloire, la chouette effraie salue les fantômes des tours de son chant de cristal.
Alors la sarabande commence, les bugul-noz bondissent hors des fourrés et dansent à n’en plus pouvoir entre les pierres levées. Le voyageur esseulé protège sa lanterne, presse le pas ou fouette son cheval, inquiet de croiser une apparition mauvaise. L’enfant dont les yeux n’ont pas encore été ternis parce que les vieux appellent la raison, jette un œil à la fenêtre, voit se glisser au loin une charrette grinçante menée par un vieux décharné, et appelle sa mère en pleurant. Seule la chaleur de ses bras lui fera oublier son indiscrétion au monde du dessous, de l’après, de la Nuit.

Durant quelques longues heures, Sirona règnera de son disque d’albâtre sur les forêts joyeuses, les landes chantantes, les côtes déchirées de vagues dansantes. Chaque indésirable, du crapaud à la chauve-souris, du loup au maraudeur, du démon au chat noir, lui portera ses respects, glissant tel un filet d’air entre deux vieilles planches, ombre rampante que le jour menace, que le soleil blesse.
Chacun saura trouver sa place dans la grande ronde des créatures du Noir.

Quand la chandelle vacillera, Elain rouvrira des yeux troublés sur son ouvrage, et dans la vague tiède du sommeil qui fuit, verra étinceler comme mille fils d’argent les cheveux de Sirona, maîtresse de cet univers que nous laissons à notre porte toutes les nuits, n’osant y entrer de peur de ne pas en revenir.

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Inktober 2023 – 3 – Sacred Space

La lumière est au bout du chemin, se répétait Brunhild.

Elle apercevait déjà le grand escalier. Les marches de granit moussues, usées, érodées par les siècles de passage discrets mais réguliers de toutes les sorcière de l’Ordre au fil des saisons, au fil des sabbats, au fil des grands départs.

Un petit nuage s’échappait de sa bouche à chaque pas. Elle resserra le col de sa cape de laine, remontant sa capuche sur ses boucles d’un châtain déjà bien gris. Sous son bras, sa besace de cuir fermée avec peine débordait presque des fagots de sauge, de romarin, des petits pochons de poudres et des quelques rouleaux de papier qu’elle avait voulu emporter. C’était le strict minimum, sans doute était-ce pourtant trop.

La lumière est au bout du chemin.

En montant les marches, le rituel voulait que l’on se remémore avec respect les compagnons perdus. Brun eut une pensée brutale pour sa mère, qui lui semblait si loin. Un passé si fugace, dont les contours diaphanes perdaient chaque jour un peu de leur couleur. Elle eut une seconde l’impression que ce serait tout, et que rien dans sa vie n’avait compté.
Puis la sarabande de familiers joyeux qui peuplaient ses souvenirs vinrent danser devant les yeux de sa mémoire, furets et rats des champs, chats et chèvres, un pigeon égaré, une seule et unique corneille qui l’avait quittée si récemment, alors qu’elles avaient tant partagé. Elle sentait encore le petit bec claquer au creux de son oreille, lisser une mèche de cheveux avec tendresse. Sa gorge se serra.
Pas de larmes, que du respect et de l’amour. La lumière est au bout du chemin.

Brunhild crut un instant apercevoir une silhouette. Immense, puissant, un cerf aux bois démesurés se tenait-se tenait-il vraiment là ?-en haut de l’escalier. Il semblait n’être qu’une ombre pourtant, et s’évapora ou s’enfuit. Qui pouvait jurer de quoi que ce soit, quand seule la lune offre sa lumière diaprée à travers les perles de brume ?

Une seule certitude, là-haut, après les pierres levées, l’Ordre s’installerait et chacune prendrait sa place au conseil de l’hiver.
La lumière est au bout du chemin.

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Inktober 2023 – 2 : Armure Psychique

Armure Psychique

Lord Zarkan se dresse devant vous. Son rire terrifiant résonne dans la pénombre. C’est le plus grand mago de ce Plan, nombreux sont ceux qu’il a foudroyés d’un simple regard.
Initiative !

Vince sourit. Derrière son « Écran », un carton plié en deux, le MJ jubile. Son petit frère Jarvis le Paladin, et Kara la voleuse de grand chemin, sont en bien mauvaise posture. Probablement leur première et dernière partie, hein les minus ?

Loin de la grotte du soricer maléfique, dans son jogging troué (mais ca se voit pas trop), Louma commence a perdre patience. Le grand frère de Jojo est beaucoup trop fier de les faire galerer. C’est vraiment qu’un gros loser, on débute juste alors que lui joue avec ses potes tous les samedis depuis des mois. Jojo le paladin n’ose plus bouger une oreille. Il ne veut pas crever comme ça, pas lors de leur première partie, pas si vite. Il a déjà mis tellement de temps à convaincre son grand frère de lui faire jouer une partie, et maintenant il n’arrive même pas à lancer une boule de feu.

Tout à coup Louma voit rouge. Merde à Lord Zarkan. Merde à Mr Lapare le prof principal qui ne manque jamais une occasion de l’appeler « Notre petite exotique ».
Merde au gros degueu qui lui a glissé la maientre les cuisses dans le bus ce matin. Merde au père de Jojo qui fait le beau au conseil municipal mais qui accueille son fils ceinture à la main les soirs de remise des bulletins. Merde à Vince qui ne protège pas tant son petit frère.
Merde à la puissance maléfique de ce sorcier miteux et ses sorts pourris. Ses sorts de connard. ses… sorts..
Je sais. je sais lire les parchemins de sorts.
Kara la voleuse sort de sa manche son plus beau rouleau de vélin et s’écrie triomphante
« Armure psychique ! Tes sorts sont inutiles, vieux barbu !!! »

Le dé roule dans une demi seconde de silence.
C’est une réussite critique.
Une sphère de protection magique se crée autour des héros, à présent protégés des attaques magiques de l’infâme Zarkan.

Vince reste un instant bouche bée, puis sourit de nouveau. Un autre sourire.
Un sourire presque gentil que Louma ne lui avait jamais vu.

Bien joué la minus. Allez, cramez-lui sa gueule.
Le prochain sera moins facile.

Pendant que Kara et Jarvis achèvent le terrible Zarkan, l’appartement 329 de la tour B s’illumine de magie.


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PS : Pour ceux qui se demandent, je change de liste. Voici la liste que je vais suivre cette année !

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Inktober 2023 – 1 – Rêve

Rêve

Mynn était rentrée exactement 3 minutes avant le curfew. Pas malin, se morigéna-t-elle encore une fois. Tous les soirs tu joues avec ta peau.

Dans le fog des quartiers blocks, la police automatique sillonnait déjà les rues. Détecteurs de mouvements et tirs à vue. Elle frissonna en entendant les premiers impacts de la soirée, certainement un retardataire aussi stupide et moins chanceux qu’elle.
Aucune excuse.

Alors pourquoi? Pourquoi tu passes ta dernière demi heure dehors, à regarder épaissir le fog, plutôt que de rentrer au chaud te caler un Réve comme tout le monde ?

« Rêve, c’est de la merde ».
Mynn avait parlé tout haut, dans le silence de son flat. Elle eu l’impression que Sandy allait réagir, mais Elle ne dit rien.

Sandy était l’assistante vocale et connectée obligatoire dans tous les flats. On pouvait bien sûr l’upgrader pour un modèle plus chic, avec hologramme ou robotique, avec des voix custom…
mais Mynn avait gardé la Sandy de base.
Pas de fioritures. Elle disait à la cantonade qu’elle s’en fichait, mais la réalité c’était qu’elle détestait profondément Sandy. Sandy savait où tu étais, combien tu dépensais, ce que tu mangeais, à quoi tu jouais… et maintenant Sandy avait Rêve.

Rêve 3.5 était l’app tendance. Elle avait progressivement remplacé quasiment tous les loisirs urbains. Mieux que regarder un film, vivez le ! mieux que vous promener, volez dans les étoiles !

Mieux que de réfléchir, rêvez, grogna Mynn, parodiant les dernières pubs en grimaçant.
Sandy s’alluma.
« Vous avez commandé un Rêve ? votre version d’essai est disponible »
« J’en veux pas. »
« Votre version d’essai est disponible et nous vous encourageons vivement à l’essayer »
« J’en veux pas. »

Sandy clignota, ce que Mynn trouva insolent.
« Votre version d’essai de Rêve est fournie avec votre facture mensuelle d’occupation du flat »
« J’en veux pas. »

Sandy clignota encore.
« Afin de pouvoir avoir accès aux services généraux, activez votre Rêve »
« Salope. »
« Je n’ai pas compris votre réponse ».
« Connasse. »

Mynn avait parlé sans colère.
Elle savait déjà.
Elle soupira et prit son headgear, couvrant ses yeux et ses oreilles.

Rêve 3.5, bienvenue.
Ouais, c’est ça. Je t’emmerde.
Vous allez à présent vous sentir détendu.
Vous êtes agréablement installé.
Votre vie vous convient.
Ouais ouais elle me convient, merde.
Toute résistance vous fait souffrir.
Vous vous sentez bien.
Vous allez à présent rêver.

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Ce que l’on accepte

Une réflexion m’est apparue brutalement cette semaine. Ce genre de moment « mindblown » qui vous prend par surprise, qui vous percute de plein fouet, sans prévenir, et qui vous laisse ce petit goût aigre, celui de l’innocence perdue.

Innocence perdue, vous allez me dire que j’en fais des caisses. Mais en fait… non.

Contexte.

L’autre jour, à la maison, les taquineries allaient bon train.
Hors, il est de notoriété publique que je n’aime pas que l’on me taquine.
Je n’aime pas les chatouilles, ni les blagues, ni le contact physique « pour rire » (l’exemple du doigt dans le nez), je n’aime pas qu’on me fasse « Bouh! », je n’aime pas qu’on me pousse. Alors, je râle. Je n’ai pas d’hmour.

Quand j’étais enfant, je vivais cela comme de véritables agressions.
Quand mon frère et mon cousin se moquaient de moi pendant des heures, je pleurais, consciente de mon impuissance. Parfois les adultes les grondaient, mais j’avais quand même droit à une petite remarque du genre ‘Oui bon allez c’est fini, n’en fais pas toute une histoire’. « Qu’est-ce qu’elle pleurniche hein ? C’est incroyable » « Ah vraiment tu n’as aucun humour ».
Quand on affichait ma maladresse, qu’on se moquait de ma timidité, je voulais juste m’enterrer sous terre. Et si je faisais mine de me rebeller, on me redisait que vraiment, je n’avais aucun humour.

J’ai été persuadée, très longtemps, de n’avoir aucun humour.
Ma tête de linotte ne faisais absolument pas le lien entre les blagues que je racontais à mes camarades (un des rares moyens que j’avais trouvé pour être un peu populaire : être le clown), et le fait que les blagues A MES DEPENS ne me faisaient jamais rire, et que donc ce n’était peut-être pas l’humour, le problème.

Les années ont passé, je me suis blindée, et j’ai oublié.
Le déni, quel bel outil.

Bref ! Et alors ?
Hé bien l’autre jour, ce qui m’a giflé si fort que j’en aurais pleuré, c’est ce constat :

Ce que l’on accepte de notre famille, on ne l’accepterait jamais de qui que ce soit d’autre.

Imaginez que demain, un collègue de travail vous chatouille 10 fois par jour. Ou vous fasse « bouh » caché dans un placard.
Ou rigole de chacun de vos erreurs, en vous affichant devant toute l’équipe. Vous affuble d’un surnom ridicule, comme « Bouboule » ou « Mademoiselle Ouin-ouin ». Raconte vos moments de gêne pendant une réunion générale.

Vous trouveriez légitime de vous plaindre, de considérer tout cela comme du harcèlement.
Aux yeux de la loi, c’est du harcèlement.
Ce (ou cette) collègue risquerait des sanctions. Il est même probable que vous obtiendriez le soutien de vos autres collègues. (Pas systématiquement bien sûr et hélas, mais il est certain que vos amis approuveraient le fait que votre environnement professionnel est toxique !)

Mais dans une famille, c’est normal.
C’est d’une banalité qui ne mérite pas qu’on relève le moindre de ces éléments.
Si vous osez considérer que votre famille, par ce genre de réflexion, blagues, actions, a été maltraitante ou abusive, on vous sautera au râble.
Quel manque de considération ! Quelle ingratitude !
Et quelle fragilité ! Se plaindre de simples plaisanteries, alors qu’il y a tant d’enfants battus, EUX réellement maltraités. Si vous vous plaignez à vos amis des blagues de vos proches, ils hausseront probablement les épaules. Enfin voyons, t’étais pas si malheureuse hein.

Alors, nos frères et nos cousins pourront-ils à jamais nous traiter de cochonnets roses, nous enfermer dans l’abri de jardin et jeter notre peluche préférée dans un champ, sans que jamais, leur comportement ne soit remis en question ?

Pourquoi la famille est-elle le cocon du pire, quand elle devrait être la forteresse du meilleur ?